Vous reprendrez bien un peu de dioxines ou de PCB avec vos œufs ?
Vous rappelez-vous la polémique des lots contaminés au Fipronil ? Pour rappel, il s’agit d’un insecticide utilisé contre le pou rouge qui fut (espérons que l’emploi du passé se justifie) utilisé sur des poules pondeuses alors qu’il est normalement interdit pour les animaux destinés à l’alimentation humaine. Malheureusement, il ne s’agit pas du seul exemple de contamination. De manière générale, de nombreux polluants dont certains biocides utilisés pour l’alimentation des poules et métaux lourds sont solubles dans les graisses (voir mon article sur l’aluminium). Ils se retrouvent donc concentrés dans le jaune d’œuf, y compris bio. Une enquête menée par 60 Millions de consommateurs a mis le sujet sur la table médiatique en 2019, révélant des taux élevés de PCB et de dioxines dans les œufs bio du fait de la pollution de l’air et des sols. Cette situation est malheureusement déjà bien connue. De nombreuses publications scientifiques ont déjà objectivé la problématique de contamination des œufs par les polluants organiques persistants et les dioxines1–4. Il ne s’agit ici « que » d’une conséquence malheureusement logique de la pollution humaine. Les œufs bio ou issus de poulaillers familiaux n’échappent pas à la règle, bien au contraire5–7.
PCB et dioxines, kesako ?
Les PCB font partie des polluants organiques persistants (POP). Ce sont des substances organochlorées dont l’usage est interdit depuis 1987, mais dont les effets sont encore présents du fait de leur très faible biodégradabilité, ils se sont donc accumulés tout au long de la chaîne alimentaire (d’où leur dénomination).
Utilisés initialement comme lubrifiants et isolants, les PCB ont également été beaucoup exploités comme adjuvants dans la formulation des peintures, des huiles, du papier ou encore des plastiques. Ils ont ainsi contaminé les cours d’eau, donc les poissons et leurs prédateurs (poissons en fin de chaîne alimentaire, mammifères marins et l’homme). L’alimentation représente plus de 90% des contaminations de la population humaine, en particulier les aliments riches en graisses : poissons gras surtout d’eau douce (anguille en particulier, barbeau, brème, carpe, silure), crustacés, lait et produits laitiers et les œufs. Le saumon d’élevage, notamment issus de mers polluées (Baltique mais aussi dans une moindre mesure la mer Méditerranée et l’océan Atlantique) en est particulièrement contaminé.
Une faible exposition mais chronique semble augmenter les troubles du comportement, notamment chez les enfants dont la mère a été exposée pendant la grossesse ou lors de l’allaitement : altération des capacités de mémorisation et d’apprentissage, baisse du quotient intellectuel et des capacités visuelles. Il semble également impliqué dans la survenue du mélanome, du cancer du sein et du lymphome malin non-hodgkinien. En 2013, sur la base d’indications suffisantes de cancérogénicité chez l’homme et chez l’animal, le CIRC a classé les PCBs comme cancérogènes certains pour l’homme (Groupe 1). L’EFSA (European Food Safety Authority) a alerté sur les doses encore trop élevées de PCB retrouvées dans les aliments. Une nouvelle dose hebdomadaire tolérable, plus faible, a ainsi été établie (2 picogrammes par kilogramme de poids corporel, soit 7 fois moins que la dernière recommandation de 2001).
Point inquiétant : les animaux élevés en agriculture biologique passant en moyenne davantage de temps à l’extérieur que leurs congénères du conventionnel, les œufs et le lait bio se retrouvent donc plus contaminés en PCB et en dioxines selon l’association 60 millions de consommateurs8. Il n’existe en effet aucune obligation à vérifier la nature de ces contaminations dans les sols lors de la conversion en agriculture biologique.
Comme les PCB, les dioxines font partie des polluants organiques persistants dont la durée de vie est très longue du fait de leur faible biodégradabilité. Ce terme regroupe plus de 75 molécules différentes, dont la plus connue est la TCDD ou dioxine de Seveso. Les furanes sont également à intégrer dans cette catégorie. Contrairement aux PCB produits volontairement jusque dans les années 1980, les dioxines apparaissent lors des incendies ou des feux de cheminés, mais surtout lors de l’incinération des déchets industriels et des ordures ménagères en l’absence de filtres dans les incinérateurs. Le traitement de la pâte à papier d’origine végétale ou encore des impuretés présentes dans certains herbicides sont également des générateurs de dioxines. Ils vont alors être transportés dans l’air et se déposer dans l’environnement proche (eau et sols).
La consommation des végétaux et des produits animaux contaminés sont les principales origines d’ingestion de dioxines par l’homme, en particulier lorsque l’aliment contient des graisses (huiles, poissons gras notamment le saumon, crustacés, lait et produits laitiers, œufs). La liste des aliments les plus contaminés a été publiée par l’ANSES à la suite de l’étude EAT2 analysant les niveaux de contamination de la population française en différents polluants9.
Une exposition prolongée augmente les risques de cancer. A la suite de l’explosion de la célèbre usine de pesticides de Seveso en Italie en 1976, les dioxines ont été classées comme cancérogènes certains (Groupe 1) par le CIRC. Une relation significative a été mise en évidence entre l’exposition aux anciens incinérateurs d’ordures ménagères et le risque de cancer. On y observe en effet une augmentation de la fréquence globale de cancers chez la femme, et en particulier de cancer du sein et les lymphomes malins non hodgkiniens. Les résultats montrent également une augmentation du risque de myélome multiple chez les hommes10. Les dioxines sont par ailleurs impliquées dans les troubles endocriniens, hépatiques, immunitaires, reproducteurs et neurologiques.
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Anthony Berthou
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Sources :
(1) Winkler, J. High Levels of Dioxin-like PCBs Found in Organic-Farmed Eggs Caused by Coating Materials of Asbestos-Cement Fiber Plates: A Case Study. Environ. Int. 2015, 80, 72–78. https://doi.org/10.1016/j.envint.2015.03.005.
(2) Hoogenboom, R. L. A. P.; Ten Dam, G.; van Bruggen, M.; Jeurissen, S. M. F.; van Leeuwen, S. P. J.; Theelen, R. M. C.; Zeilmaker, M. J. Polychlorinated Dibenzo-p-Dioxins and Dibenzofurans (PCDD/Fs) and Biphenyls (PCBs) in Home-Produced Eggs. Chemosphere 2016, 150, 311–319. https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2016.02.034.
(3) Pajurek, M.; Pietron, W.; Maszewski, S.; Mikolajczyk, S.; Piskorska-Pliszczynska, J. Poultry Eggs as a Source of PCDD/Fs, PCBs, PBDEs and PBDD/Fs. Chemosphere 2019, 223, 651–658. https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2019.02.023.
(4) Amutova, F.; Delannoy, M.; Baubekova, A.; Konuspayeva, G.; Jurjanz, S. Transfer of Persistent Organic Pollutants in Food of Animal Origin – Meta-Analysis of Published Data. Chemosphere 2021, 262, 128351. https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2020.128351.
(5) Waegeneers, N.; De Steur, H.; De Temmerman, L.; Van Steenwinkel, S.; Gellynck, X.; Viaene, J. Transfer of Soil Contaminants to Home-Produced Eggs and Preventive Measures to Reduce Contamination. Sci. Total Environ. 2009, 407 (15), 4438–4446. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2008.12.041.
(6) Bautista, A. C.; Puschner, B.; Poppenga, R. H. Lead Exposure from Backyard Chicken Eggs: A Public Health Risk? J. Med. Toxicol. Off. J. Am. Coll. Med. Toxicol. 2014, 10 (3), 311–315. https://doi.org/10.1007/s13181-014-0409-0.
(7) Grace, E. J.; MacFarlane, G. R. Assessment of the Bioaccumulation of Metals to Chicken Eggs from Residential Backyards. Sci. Total Environ. 2016, 563–564, 256–260. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2016.04.128.
(8) Pangrazzi, C. Les aliments bio touchés par la pollution. 60 Millions de Consommateurs. 2019.
(9) ANSES. Données régionales EAT2 (Etude de l’Alimentation Totale) https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/donnees-regionales-eat2-etude-de-l-alimentation-totale/ (accessed Dec 3, 2019).
(10) Pesatori, A. C.; Consonni, D.; Rubagotti, M.; Grillo, P.; Bertazzi, P. A. Cancer Incidence in the Population Exposed to Dioxin after the “Seveso Accident”: Twenty Years of Follow-Up. Environ. Health Glob. Access Sci. Source 2009, 8, 39. https://doi.org/10.1186/1476-069X-8-39.
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