Un chimiste français, Louis-Camille Maillard, découvrait en 1911 que des acides aminés (constituants de base des protéines) mis en présence de sucres et à température élevée brunissaient en créant des composés très voisins de l’humus. Il expose cette découverte à l’Académie des Sciences, puis dans un ouvrage publié en 1913 : « Genèse des matières humiques et des matières protéiques».
Cette réaction chimique est depuis appelée réaction de Maillard, connue dans le monde scientifique sous le nom de glycation ou glycosylation non enzymatique des protéines.
Tout ceci ne serait que théories et recherches scientifiques si cette glycation des acides aminés (ce qui signifie caramélisation des protéines) n’était l’alliée quotidienne des boulangers, pâtissiers, chocolatiers, traiteurs, cuisiniers, torréfacteurs et consommateurs que nous sommes. Elle se traduit en effet par un brunissement des aliments et par l’apparition de gouts caractéristiques. Le contrôle de ces réactions au cours de la cuisson dépend notamment de la température, du pH et de l’humidité. Maîtriser les réactions de Maillard est donc précieux pour l’industrie agro-alimentaire, qui peut ainsi contrôler la conservation des produits, leur goût ou encore leur aspect. En faisant varier de manière infime ces paramètres les différences de résultats peuvent être impressionnantes, rendant la réaction intéressante ou indésirable.
Ses vertus organoleptiques sont indéniables car elle produit des substances aromatiques souvent appréciées (croûte du pain, rôtissage des volailles, arômes du café torréfié, …) et donne aux aliments une couleur appétissante.
Hélas elle est nutritionnellement parlant, préjudiciable, car provoque une perte de la qualité des protéines ingérées et la production de substances insolubles et indigestes.
Un peu de biochimie…
La réaction de Maillard intervient lorsqu’un mélange de protéines et de sucres est chauffé à une température comprise entre 0 à 150° C, à un pH idéalement entre 6 et 10, en présence d’un taux d’hygrométrie idéalement proche de 15 %. Il se forme alors un corps insoluble, noirâtre, charbonneux et de l’eau est éliminée. Parfois une substance volatile aromatique est produite.
La différence entre une réaction de Maillard et une caramélisation simple est la présence d’acides aminés. Ainsi, du sucre chauffé en présence d’eau donnera du caramel, le même sucre chauffé en présence d’eau et de protéines (constituées d’acides aminés) donnera un « corps de Maillard ».
Sucres simples + Eau + Chaleur = caramélisation
Sucres simples + Acides aminés + Eau + Chaleur = réaction de Maillard
C’est pourquoi la réaction de Maillard a parmi ses désavantages l’inconvénient de réduire la quantité d’acides aminés disponibles. Par exemple, la cuisson du pain détruit la lysine contenue dans la farine dans une proportion de 5 à 15 %, essentiellement au niveau de la croûte.
Un peu plus technique
En présence d’eau et de chaleur, les acides aminés produisent des glycosamines, qui sont ensuite transformés en cétosamines. Les cétosamines peuvent subir plusieurs types de transformation au cours desquelles des échanges d’électrons entre les atomes de carbone, d’azote et d’oxygène génèrent de nombreuses substances intermédiaires instables, qui subissent à leur tour des transformations visant à leur faire acquérir une stabilité moléculaire.
Plus les molécules de sucres sont volumineuses, plus la réaction de Maillard est difficile et les sucres simples (glucose, galactose, fructose) sont donc plus réactifs que les sucres complexes (maltose, lactose, et surtout amidon).
La structure des acides aminés en présence est un autre facteur modifiant la réaction de Maillard. Ainsi la Lysine réagit d’avantage que l’Arginine ou l’acide glutamique.
L’eau est un solvant nécessaire à la réaction de Maillard. En milieu trop humide, les réactions de déshydratation sont impossibles mais en milieu trop sec la réaction est inhibée.
Enfin plus la température augmente, plus la réaction de Maillard est rapide.
Corps de Maillard et santé
La présence élevée de sucre chez les diabétiques favorise la glycation des protéines. Ceci expose à des lésions cellulaires et tissulaires expliquant que les diabétiques ont un risque accru de maladies cardio-vasculaires ou rénales. L’hémoglobine est une protéine présente dans les globules rouges. En présence de sucre elle est partiellement glyquée (« caramélisée »), selon la réaction de Maillard. La surveillance du diabète se fait en partie sur le dosage régulier de l’hémoglobine glyquée, qui doit idéalement rester inférieure à 7% du taux d’hémoglobine totale.
Les cuissons élevées induisent la production de substances inexistantes à l’état naturel et pour lesquelles notre intestin et nos cellules ne disposent pas des enzymes nécessaires à leur digestion, absorption et utilisation.
Parmi les corps de Maillard, l’acrylamide est formée lors de la cuisson forte d’aliments riches en amidon et contenant de l’asparagine. L’acrylamide est particulièrement présente dans les chips et les céréales du petit déjeuner, les poudres de café, de chicorée, et tous les aliments fortement grillés ou cuits à plus de 120°C. Son pouvoir cancérigène et toxique pour les cellules de la reproduction et du système nerveux est reconnu. L’OMS la reconnait comme « présentant un risque pour la santé humaine ». Une étude publiée dans la revue « International Journal of Cancer » a montré une association positive entre un taux élevé d’acrylamide dans le sang et le développement du cancer du sein. Les teneurs demeurent malheureusement importantes dans bon nombre de produits industriels, en particulier dans les céréales du petit déjeuner (voir article à ce sujet par ici).
La prévention par la cuisson douce
Jusqu’à la maîtrise du feu, il n’y a que quelques milliers d’années, l’homme mangeait cru et les enzymes de la digestion et de l’absorption y étaient adaptées. L’évolution des habitudes alimentaires a été bien plus rapide que l’évolution génétique de l’espèce et la consommation de corps de Maillard en grande partie liée aux modes de cuisson est devenue majeure avec l’avènement de l’alimentation moderne, confrontant notre organisme à une certaine inadaptation entre les produits consommés et les capacités biologiques à les digérer, absorber, utiliser et éliminer.
Il est pourtant possible de préserver une alimentation goûteuse, conviviale et compatible avec les usages contemporains sans revenir à la consommation exclusive d’aliments crus. Les cuissons douces telles que pochées, au bain marie, à four doux, à la vapeur sont très bien adaptées aux programmes hypotoxiques. Les tartares et carpaccios sont parfaits … En limitant la consommation de plats cuisinés industriels, en limitant le recours aux grillades, fritures, cuissons au four à micro-ondes, en redécouvrant le goût des aliments frais et peu cuits, il est aisément possible de réduire la quantité de corps de Maillard que nous ingérant et l’impact négatif qu’ils ont sur les pathologies modernes dites « de société ».
La consommation des huiles crues, vierges et de première pression à froid, en privilégiant l’olive et le colza, complètent efficacement ces règles.
Anthony Berthou
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